Il est 19 heures (14 heures en France), ma valise est posée à côté de mon fauteuil dans le hall de l’hôtel. J’attends un taxi pour me conduire à l’aéroport de Suvarnabhumi Bangkok. Les minutes défilent lentement et mon inquiétude grandit car le taxi n’arrive pas. Premier appel à Yoon, le chauffeur, vers 19 h 15 : - Ah Mitchel oui oui, j’arrive, je suis à Jomtien. Dix minutes plus tard, deuxième appel, je suis là dans cinq minutes me dit-il. 19 h 30, il arrive enfin, s’approche la tête courbée, les mains jointes devant le visage Sorry - Sorry Mitchel.
Explication de son retard : Un farang qu’il conduisait faire des courses l’a retardé. Il lui répétait qu’un autre client attendait pour l’aéroport, mais il n’allait pas plus vite pour autant.
- Pourquoi, tu ne m’as pas appelé pour me prévenir, je m’inquiétais moi.
> Toujours la même réponse : Sorry Sorry Mitchel.
Enfin, ce n’est pas trop grave car je prends toujours une grande marge de sécurité pour mes départs en avion. Malgré mon envie de ne pas trop lui en vouloir, j’ai tout de même quelques difficultés à cacher mon agacement.
Une heure plus tard environ, nous arrivons au premier péage sur l’autoroute. Yoon paie la taxe. Au moment de repartir, la voiture cale, des lumières clignotent sur le tableau de bord, quelques « bip – bip » retentissent…Impossible de démarrer la voiture. Une petite boule d’angoisse monte dans ma gorge, il ne manquait plus que cela !...
La caissière du péage appelle à l’aide. Un employé s’installe derrière le véhicule et nous pousse. Un grand coup de poing sur la voiture nous prévient qu’un camion ne nous a pas vus et démarre à vive allure d’un autre passage de paiement. C’est mieux de le laisser passer. L’employé déploie une belle énergie, la voiture crachote et repart. OUF !... Sauvés ?...
L’orage nous surprend rapidement. Nous roulons environ depuis dix minutes lorsque le chauffeur me signale qu’il a un problème : la batterie ne fonctionne plus, elle ne recharge pas. La preuve est fournie par les essuies glaces qui peinent à évacuer la pluie. Ils fonctionnent de moins en moins vite. Soudain la climatisation cesse de fonctionner, les lumières de la voiture s’éteignent. Nous continuons à rouler.
Je suggère à Yoon de mettre ses feux de détresse car cette partie d’autoroute est dans le noir le plus total. Un peu plus tard, le véhicule ralentit de plus en plus et termine son trajet sur la bande d’arrêt d’urgence à trois ou quatre kilomètres d’un espace repos où se trouvent de nombreux commerces. Puis les feux de détresse cessent également de fonctionner.
Nous voila bien, j’imagine rapidement les conséquences de cette situation.
Le chauffeur me dit qu’il a fait nettoyer la voiture l’après-midi et qu’ils ont lavé le moteur au jet d’eau. Il est persuadé que c’est la raison de cette panne. Pragmatique, il me dit : j’ai perdu 200 bath avec le lavage !... Je pense, mais ne dit rien : Et sans doute un peu plus avec le dépannage.
C’est bien de penser dépannage, mais comment fait-on ici ? A ma connaissance, il n’existe pas de service adéquat sur l’autoroute. Yoon descend installer sur la chaussée, à une dizaine de mètres à l’arrière de notre position, une petite lampe torche diffusant une lumière rouge tournante. Il me dit au retour, reste dans la voiture Mitchel.
Non, merci. Je préfère descendre au risque de devoir me jeter dans le fossé boueux si un véhicule vient s’écraser sur le taxi. Yoon téléphone, explique, toujours avec de grands sourires, pendant que je fais les cent pas sur la bande d’arrêt d’urgence.
Soudain, au loin, sans feu également, une voiture roule lentement vers nous. Précipitamment, je prends à terre la lampe torche pour l’agiter de droite à gauche au dessus de ma tête. Nous sommes vus et évités. La même scène se reproduit avec un camion. J’ai l’air « fin » moi, au bord de l’autoroute en Asie, la nuit, gesticulant avec cette lampe. Aucun conducteur, et ils sont nombreux à circuler, ne s’arrêtent pour apporter de l’aide, ce que je comprends néanmoins car on n’est jamais trop prudent !...
Après un moment qui m’a paru une éternité (je refuse de regarder ma montre) Yoon vient vers moi.
- Mitchel, Ã quelle heure est ton avion ?...
- 23 heures (Je triche d’une heure). En fait le décollage est à minuit cinq.
- J’ai téléphoné, quelqu’un va venir te chercher depuis l’aéroport. Je pense que tu auras ton avion.
Il retourne vers la voiture qui – oh miracle ! – démarre soudain.
Je cours et m’installe. Nous roulons lentement toujours sans lumière et terminons notre parcours sans moteur une nouvelle fois, juste à la hauteur des premiers commerces. Yoon installe la lampe sur la voiture et téléphone à nouveau pour signaler notre nouvelle position à celui qui va me récupérer.
Le temps est long dans cette attente. Je rumine quelques mauvaises pensées en m’obligeant tout de même à relativiser.
Au volant d’une Mercédès, un homme d’une quarantaine d’année arrive. Figure de boxeur, il me dit bonjour et je vois une bouche avec seulement la moitié des dents. Je paie Yoon en lui demandant de régler sa part à ce nouveau chauffeur et je quitte sans remords (quelle honte !) le taxi en panne.
Yoon ferme ma portière avec de nombreux Sorry – Sorry – Sorry Mitchel
Sur un démarrage à vive allure, le boxeur-chauffeur me dit :
- Ok Bangkok
- Non, je vais à l’aéroport
- Bangkok good !
- Non cap ban (maison) good. Go Suvarnabhumi (Aéroport).
Enfoncé dans mon siège, je vois le compteur grimper rapidement 100 – 110 – 120 – 130 – 140 … jusqu’à quelques pointes à 160 ...
L’autoroute comporte de nombreux dos d’âne, notamment avec les ponts surplombant les cours d’eau. Il ralentit un peu, mais pas suffisamment pour que la voiture ne « s’envole » pas légèrement. Une première fois, c’est rigolo, la deuxième un peu moins et ensuite vous « serrez les fesses » au moment où la voiture touche le sol de l’autre côté du dos d’âne. Cela ne gêne en rien la conduite sportive de ce chauffeur-boxeur. Profondément enfoncé dans son siège, une main sur le volant et l’autre posée négligemment sur l’accoudoir de la portière il semble parfaitement à l’aise ou… inconscient !
Pour ne pas me faire rater l’avion, le code de la route est quelque peu malmené, en collant aux voitures précédentes, avec de nombreux appels de phares, doublant à gauche ou à droite, entre deux véhicules…etc. Je laisse faire en essayant de me convaincre que mon destin est tracé et que je ne changerai pas ce qui doit arriver. Sept semaines en Asie rendent philosophe, vous ne trouvez pas ?
Enfin, nous arrivons à l’aéroport. Je récupère mes bagages et lui donne un pourboire lui offrant l’occasion de me montrer une dernière fois sa dentition particulière au fond d’un large sourire.
Il est 22 heures et je vais prendre mon avion normalement.